ESPACES CONTEMPORAINS, DÉCEMBRE 2019 – Peter Kammermann, compositeur d’intérieur
UNIVERS INTÉRIEURS
De sa première vocation de tapissier il a gardé une passion indéfectible pour le textile; elle transparaît dans tous ses projets. Installé depuis une vingtaine d’années à Carouge, Peter Kammermann a décoré nombre de maisons de maître et de demeures anciennes ou contemporaines en Suisse et à l’étranger. Ses réalisations se démarquent par leur élégance intemporelle et leur atmosphère. Entretien à son atelier.
VOUS EXERCEZ EN TANT QUE DÉCORATEUR ET ARCHITECTE D’INTÉRIEUR, COMMENT DÉFINISSEZ-VOUS VOTRE MÉTIER?
Ma mission est de faire en sorte que les gens soient heureux dans leur habitat. Et même si le terme est désuet, j’aime bien le mot «ensemblier». Il exprime l’idée de mettre des choses ensemble pour parvenir au résultat. Pour moi, dans tout projet, il y a trois éléments essentiels: d’abord, le client – c’est pour lui que je travaille; ensuite, le lieu – c’est une donnée incontournable; et enfin la matière, c’est-à-dire ce que l’on va apporter, par exemple du mobilier, du textile, etc. – ou ce que l’on va enlever, car par-fois il faut démolir pour réinventer. Mon travail consiste à composer avec tous ces éléments.
QU’EST-CE QUI GUIDE VOTRE PROJET?
Au départ, je travaille d’abord à l’intuition, je ressens les choses, j’écoute… Je n’ai pas de solution «miracle», de recette. Je m’imprègne et je laisse reposer. Tout nouvel élément peut en faire surgir un autre, ça évolue au fur et à mesure de l’avancement du travail. Le volume est une donnée à considérer avant tout le reste. La forme des meubles est déterminante aussi, elle va dicter le choix du tissu qui habillera un canapé par exemple, l’emplacement du mobilier joue aussi un rôle… C’est tout un puzzle.
AVEZ-VOUS UN STYLE, DES CODES PARTICULIERS QUI FONT VOTRE SIGNATURE?
Ce qui est certain c’est qu’il y a toujours un fort apport du textile dans mes réalisations. Je ne peux pas imaginer un intérieur sans textile. J’aime aussi beaucoup la couleur. Et je suis sensible aux vibrations des matériaux et des matières. C’est une des raisons pour lesquelles j’aime le travail fait sur mesure, l’artisanat, les tissus imprimés à la main. C’est ce qui va apporter quelque chose de différent, procurer un côté plus «habité» à l’atmosphère.
QUE PENSEZ-VOUS DE LA PROLIFÉRATION D’IMAGES ET DES CONSEILS DÉCO SUR INTERNET?
Ils permettent de mieux prendre conscience de l’espace qu’on habite, que l’améliorer est important pour son propre bien-être. Dans ce sens, c’est positif. Les images font naître des envies; ensuite il faut encore faire les bons choix, développer son propre style, affirmer son individualité. Il y a beaucoup de gens qui se lancent seuls dans un projet de décoration et qui se rendent compte que finalement c’est utile de se faire aider par un professionnel. C’est un peu comme pour les achats sur internet, au bout du compte on a besoin de sentir, de toucher, d’être en contact avec les choses. On le voit bien à travers l’engouement actuel pour l’artisanat.
COMMENT GÉREZ-VOUS LES QUESTIONS RELATIVES À L’ESPRIT DU TEMPS, AUX TENDANCES?
Tout l’art consiste à repérer les bons éléments dans les nouvelles tendances, à savoir les utiliser et les intégrer dans un projet en accord avec la personne, et qui tiendra dans la durée. Cela dit, je pars toujours du principe que l’idée d’un client parle d’un désir qu’il faut approfondir, et parfois développer. C’est ce qui est passionnant dans mon métier, c’est à chaque fois une nouvelle histoire à construire.
VOUS AVEZ COMMENCÉ VOTRE CARRIÈRE EN ÉTANT TAPISSIER. QUEL EST VOTRE RAPPORT AU TEXTILE?
Le textile est très important pour moi, le métier de tapissier tourne en permanence autour du tissu. Dans le textile il y a quelque chose de divin. On peut le toucher, le caresser, il peut provoquer une émotion… Il fait voyager, sur-tout le textile ancien que j’affectionne particulièrement et que j’utilise pour recouvrir des sièges ou des coussins. Le choix du textile juste est l’un des secrets de la réussite d’un intérieur. C’est en partie intuitif mais ça repose aussi sur des connaissances techniques du tissu. Cela dit, rien n’est définitivement acquis dans ce domaine, il reste toujours une part d’inconnu, la matière peut réagir différemment que ce que l’on avait pensé, on apprend tout le temps.
Évelyne Malod-Dognin
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